mardi 20 juin 2017

Elections Françaises de 2017 : Une farce sinistre


Les élections françaises de 2017 : une farce sinistre

Samir AMIN
19 juin 2017

La démocratie électorale pluripartite, joyau de la modernité démocratique en Europe et aux Etats Unis, est gangrenée et engagée sur la route de son déclin. La dictature exercée par le capital des monopoles financiers a visiblement annihilé la portée et le sens des élections. La France en avait déjà fait l’expérience il y a quelques années : le peuple français avait rejeté par referendum la proposition de constitution européenne ; cela n’a pas gêné le gouvernement et le parlement qui l’ont adopté le lendemain ! La leçon que le peuple français en avait tiré était tout simplement que le vote ayant perdu sa portée décisive, il ne valait plus la peine de se rendre aux urnes. Les élections présidentielles d’avril 2017 et les deux tours de l’élection du Parlement les 11 et 18 juin 2017 en témoignent. Les abstentions frisent désormais les 60 % du corps électoral ! Du jamais vu dans l’histoire de la démocratie occidentale. Dans ces conditions bien que Macron ait été élu Président et qu’il dispose d’une majorité absolue confortable dans le nouveau Parlement, le vote positif en sa faveur ne dépasse pas les 16 % des citoyens, recrutés dans le privé au sein des classes moyennes et des entrepreneurs – un milieu social naturellement « pro-capitaliste », réactionnaire socialement ; il ne représente pas « un raz de marée » comme le présentent les médias dominants. Un cas analogue se serait produit en Russie, en Iran ou dans un quelconque pays du Sud, les médias occidentaux n’auraient pas manqué de dénoncer la farce. Mais ils se gardent d’en dire autant lorsqu’il s’agit d’une « démocratie » occidentale, en l’occurrence la France.

La farce électorale est le résultat prévisible de l’exercice de la dictature continue et sans précédent depuis trois décennies des monopoles financiers, masquée sous les apparences trompeuses des « exigences objectives des lois du marché ». Cette dictature s’est emparée du pouvoir politique direct et le ralliement de la social-démocratie au discours et aux exigences du néo libéralisme économique a produit de facto une forme de pouvoir d’un « parti unique », précisément celui au service de la petite minorité des « plus riches ». Il n’y a plus aucune différence dans la pratique des gouvernements de la droite classique ou de la gauche électorale traditionnellement majoritaire représentée par les socialistes. Cette forme du parti unique – celui des « néo-cons » aux Etats Unis- régule désormais la « vie  politique », en fait la « vie dépolitisée » dans l’Occident européen et nord-américain.

Il n’y a pas lieu de se réjouir de cette farce sinistre. Car la perte de légitimité de la « démocratie électorale » n’est pas relevée par l’avancée d’une alternative inventive de formes nouvelles plus avancées de démocratie réelle meilleure. Il en est en Occident comme dans les pays du Sud : les peuples constatent la dérive ; mais finalement en acceptent également les conséquences, à savoir la « marche en arrière » à toute allure. Pour la France, comme pour les autres pays du centre impérialiste, les avantages que procure cette position dans le système mondial à la grande majorité des peuples concernés sont fort probablement à l’origine du  « ralliement » passif au libéralisme des marchés.


L’avenir reste néanmoins ouvert. En France la farce électorale de la « République en marche » ne répond à aucune attente de la vaste majorité des citoyens et des travailleurs. Le ralliement attendu de la droite au projet prétendu du « centre »  ne tardera pas à révéler le visage véritable de Macron : celui d’un homme de droite au service du capital financier et des politiques néo libérales, et rien d’autre. En contrepoint les luttes sociales, renforcées par l’émergence de la force politique représentée par « la France insoumise », sont probablement appelées à prendre de l’ampleur. Le faux « raz de marée macroniste », vanté par les médias bien que sans rapport avec la réalité des faits, risque d’être de courte durée. Il faut néanmoins savoir que l’expérience des trois dernières décennies a démontré que les luttes sociales par elles-mêmes ne sont pas suffisantes pour arrêter la dérive de droite et rétablir une dynamique d’avancées sociales qui implique le dépassement de stratégies défensives et la cristallisation d’un projet alternatif positif, authentiquement social et démocratique. Un projet de cette nature devra par la force des choses savoir s’inscrire dans une perspective plus large et plus longue, remettant en cause l’ordre mondial impérialiste et le sous-système européen atlantiste qui le soutient. Les conditions d’émergence de visions de cette ampleur et de stratégies d’action allant dans leur direction, devront être rappelées et constituer le cœur des programmes de débat de la gauche radicale, en France comme partout en Europe et dans le monde. 

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